L’argent ne rémunérera jamais votre mérite
J’ai été récemment interpellée par la question d’un député écologiste (à retrouver ici) au PDG de Renault, dont il contestait la rémunération.
Lors de son audition à l’Assemblée nationale, un député écologiste pose à Luca de Meo, Pdg de Renault, cette question :
« Est-ce que vous pensez que moralement, intellectuellement, par la force de votre travail, vous valez 260 travailleurs au smic ? »
(Luca de Meo est payé 260 fois plus qu’une personne rémunérée au smic).
La réponse de Luca de Meo ne m’a pas totalement convaincu :
- « Je travaille 80 heures par semaine » (sous-entendu, moi aussi j’ai du mérite !)
- « J’ai d’énormes responsabilités »
- « Je crée beaucoup de valeur »
- « Pendant 20 ans ou 30 ans de carrière, tous les ans, j’ai dû démontrer des résultats. » …
Peut-être le point le plus intéressant.
Pourquoi cette séquence n’a aucun sens
La question de ce député repose sur une idée profondément ancrée dans notre société, et pourtant totalement fausse : celle que l’argent rémunère le mérite ou la valeur. Ou qu’il devrait.
Si c’était vrai, les métiers les plus exigeants physiquement et intellectuellement seraient les mieux payés. Or un enseignant, un infirmier ou un agriculteur, aussi compétents ou courageux soient-ils, gagnent bien moins qu’un trader, un pdg d’entreprise ou un joueur de foot. Et peinent même à obtenir des salaires à la hauteur de leur engagement.
De même, deux personnes avec les mêmes compétences et la même implication devraient être payées pareil. Or elles peuvent percevoir des salaires totalement différents en fonction de leur secteur d’activité, de leur réseau ou même de leur capacité à se vendre. Rien à voir – ou si peu – avec leur mérite !
Et il va de soi qu’un Luca de Meo n’a pas 260 fois plus de valeur qu’un ouvrier !
Mais l’argent ne rétribue ni les efforts et le mérite ni la valeur intrinsèque d’un travail ou d’une personne.
C’est ce que Luca De Meo aurait dû répondre, aussi choquant que cela puisse paraître.
Mais s’accrocher à cette idée a trop de conséquences négatives, pour nous-même et pour la société, pour qu’on ne travaille pas tous les jours à démolir ce mythe.
Les conséquences de « l’argent se mérite »
À titre personnel, croire que l’argent est une récompense de votre mérite personnel, peut soit :
- Vous pousser à douter de votre propre valeur si vous ne gagnez pas autant que vous l’espérez ;
- Vous amener à travailler encore et toujours plus jusqu’à ce que votre valeur soit reconnue – et au risque d’un burn-out ;
- Générer du ressentiment et de la jalousie vis-à-vis de ceux qui réussissent mieux que vous sans être plus méritants (typiquement la conversation relevée en introduction de cet article).
Bien sûr, vous pourriez me répondre que cela a au moins un mérite : pousser à faire des efforts.
Certes… mais qu’en est-il des efforts mal placés qui n’apportent pas de résultats ?
Collectivement, les conséquences sont tout aussi importantes :
- Une lutte des classes sans fin entre « ceux qui ont » et se la coulent douce dans un bureau chauffé et « ceux qui n’ont pas », qui bossent physiquement dur et sans qui les usines ne tourneraient pas
- La jalousie institutionnalisée des uns vis-à-vis des autres parce qu’on aura toujours à trouver qu’on mérite beaucoup au vu de ce que l’on fait et que les autres sont trop payés au vu de leurs pauvres mérites ! (un exemple parmi d’autres : nos chers députés…)
- Dans certains cas, la légitimation des inégalités : puisque les riches sont riches grâce à leur talent, les pauvres sont pauvres parce qu’ils n’en auraient pas.
Une horreur uniquement basée sur le fait que « l’argent paye le mérite » !
Ce que l’argent rémunère, si ce n’est pas le mérite ou l’effort
L’argent suit avant tout une logique économique.
Normal, puisque c’est un instrument de valorisation commerciale (et uniquement commerciale !)
de ce qui s’achète et ce qui se vend.
Rien à voir avec une quelconque évaluation morale : le mérite, la valeur de l’individu, l’effort, la justice…
L’argent rémunère ce qui est considéré comme ayant de la valeur sur un marché donné, pas ce qui est juste ou méritant. Et une rémunération dépend avant tout de facteurs économiques et stratégiques :
- L’obtention d’un résultat : ce à quoi Luca de Meo fait allusion en disant qu’il est redevable de ses résultats tous les ans depuis 30 ans
- La rareté : moins il y a de candidats capables pour un poste donné, plus ils sont rémunérés (et le marché des PDG qui ont fait leur preuve est très étroit !)
- L’offre et la demande : Un footballeur de haut niveau gagne des millions non pas parce qu’il court plus vite qu’un pompier, mais parce que des millions de spectateurs sont prêts à payer pour le voir jouer.
- Le secteur économique : avec la même formation, vous gagnerez plus dans l’agroalimentaire que dans l’agriculture. Vous gagnerez plus dans une grande entreprise que dans une petite. Vous gagnerez plus en Suisse qu’en France.
- Le pouvoir de négociation : Un PDG peut imposer une rémunération élevée car il est dans une position où son départ coûterait cher à l’entreprise. Un employé précaire, lui, a peu de marge de manœuvre.
Le mérite n’entre donc que marginalement dans l’équation.
Se libérer de cette illusion permet de mieux comprendre le monde du travail, d’adopter des stratégies plus efficaces et, surtout, de ne pas juger la valeur d’une personne à l’épaisseur de son compte en banque !
Faites-moi part de vos réflexions sur ce sujet brûlant (ici dans les commentaires) ! Ça m’intéresse.
Si cet hebdo vous parle, que vous êtes autant convaincu.e que moi qu’il est indispensable de réfléchir sur l’argent pour mieux vivre en société, vous pouvez retrouver d’autres réflexions ici.
J’ai travaillé 43 ans un peu au dessus du smic et je me retrouve avec une retraite ridicule même les personnes qui n’ont jamais cotisé ont presque la même retraite que moi ce n’est pas normal ce système
Bonjour Nathalie.
si j’avais su dès l’entrée dans la vie active que travailler pour quelqu’un ne m’aurais jamais rendu riche j’aurais fui de suite.
si j’avais eu une éducation financière au lycée là j’ aurais épargné et investit au lieu de tout dilapider!!!
La motivation, notre savour faire… rien de reconnu .
votre article est légitime mais ignorez vous que le talent est davantage rémunéré que le mérite ?
bien à vous.
C’est pour moi une justesse de propos qui peut permettre à réduire les tensions ressenties entre » trop » ou » pas assez » mis en reproches. Cela devrait rendre responsable tout un chacun de jauger la propre valeur qu’il se donne au regard de la société… Lautoentrepreneur semble plus libre de faire se travail d’évaluation de ses services que ne le peut un salarié. Cela ne gomme pas les injustices sociales mais ouvre les yeux sur comment nous nous considérons nous même dans le travail.